Lien entre dynamiques locales, résilience, et collaboration

En quoi les dynamiques locales contribuent-elles à la résilience de la ville (y compris en ce qui concerne leur impact environnemental) ?

Lorsque l’on s’intéresse à l’impact des dynamiques locales sur la résilience de ces entités, il est important de distinguer deux éléments : premièrement, la résilience est un concept qui s’applique à l’analyse des systèmes. La ville doit donc être comprise comme un système, un écosystème. Un tel écosystème des villes est composé de relations flux d’énergie, eaux et matières (Ecole de Chicago) mais aussi de toute une écologie urbaine, composée d’interactions urbanistiques, sociales, économiques, culturelles, … Ce sont ces écosystème que les perturbations des villes affectent.

Le deuxième élément est la notion même de résilience, un concept croissant depuis quelques années auprès de scientifiques, responsables politiques, acteurs économiques et acteurs de la société civile (Carton et al. 2013). Dans la sphère institutionnelle, c’est un rapport du Groupe de haut niveau du Secrétaire général de l’ONU sur la viabilité mondiale qui l’a entérinée en 2012 (ONU, 2012).

En systémique, la résilience correspond au fait de retrouver un équilibre après un choc. Une telle notion se concentre donc sur le système étudié, ici la ville. La résilience vise à analyser la possibilité de la ville (l’écosystème de la ville) à réagir à des facteurs de perturbations extérieures. Cependant, cette approche ne cherche pas à travailler sur les causes mêmes ou l’origine de ces perturbations, qui sont exogènes au processus de résilience. En effet, la résilience est : « la capacité d’un système à absorber une perturbation et à se réorganiser tout en conservant essentiellement les mêmes fonctions, la même structure et les mêmes boucles de rétroaction et donc la même identité » (Carton, Stevens, and Servigne 2013, p. 3). Cette définition met l’accent sur la capacité d’un système ou d’une dynamique locale, pour dépasser les chocs et les perturbations, à ‘revenir à la normale’, se ‘transformer’ et être ‘adaptée’ par les acteurs au cours du temps (Carton, Thevard & Sinaï 2013). Dans notre cas, il s’agit donc d’analyser la mesure dans laquelle les dynamiques locales permettraient de soutenir l’écosystème de la ville à retrouver son état initial après un choc ou une turbulence.

La ville est donc considérée comme un système complexe, composé de divers éléments, agents ou structures (habitats, activités, infrastructures, populations, gouvernance). La résilience se trouve alors à « la croisée de l’urbanisme, des stratégies de développement et de la gestion des ressources naturelles » (Carton, Thevard & Sinaï 2013, p. 5). Augmenter la résilience urbaine consiste alors à adopter trois stratégies. De façon technique, « limiter les risques », le degré de perturbation du système par une meilleure capacité de résistance et d’absorption. De façon organisationnelle « augmenter la capacité de réponse », en accélérant le retour à la normale par une gestion optimisée des moyens et des ressources, et une bonne accessibilité. De façon dégradée « être en standby », en assurant la fonction à un niveau de performance plus faible (Toubin et al., 2012). On peut de même distinguer deux temporalités pour la résilience : la résilience de temps court, qui passe par un processus d’amélioration continu en mettant à profit les capacités d’apprentissage et d’adaptation du système face à une perturbation ; la résilience de temps long : qui se focalise sur le maintien de ses fonctions principales (prospérité, qualité de vie, attractivité, …) (Toubin et al., 2012).

De plus, les dynamiques locales pourraient – du moins potentiellement – jouer un rôle au niveau de la transition des écosystèmes de villes, vers d’autres agencements entre les différents flux, acteurs, relations, etc. Elles pourraient jouer ce rôle qu’il y a une perturbation extérieure ou non. Dans notre cas, il s’agit donc d’analyser la mesure dans laquelle les dynamiques locales permettraient d’améliorer l’état initial de l’écosystème de la ville.

Que ce soit dans le contexte de résilience ou de transition, les dynamiques locales évoluent dans un paradigme établi, qu’il soit économique, environnemental ou social et ils ne peuvent pas agir directement dessus. En revanche, en agissant sur l’écosystème, les dynamiques peuvent potentiellement avoir un impact sur leurs différents environnements notamment naturels et sociaux.

L’impact environnemental des dynamiques locales en tant que tel n’a pas encore été analysé. Cependant, les initiatives citoyennes contribuent positivement à l’environnement naturel, de manière directe et indirecte. Les initiatives de production d’électricité et chauffage, celles visant le transport personnel et la préparation de repas végétariens ou végans notamment ont un fort impact positif (TESS 2017).

Notamment, si 5% de tous les citoyens européens s’engageaient dans les activités citoyennes, presque 85% des pays de l’UE 28 atteindraient leurs objectifs de de réduction des émissions de GES par 20% d’ici 2020 (dans les domaines de l’alimentation/agriculture, déchets, énergie et transports) (TESS 2017). Par là-même, Rob Hopkins souligne l’importance de la multiplicité des actions de niches comme multiplicatrices des effets qui permettront un changement (Marion 2016).

Justement, les dynamiques locales ont aussi un impact positif sur l’environnement social : changements individuels (capacitation des individus, motivation, confiance en soi… ), de changements au niveau du groupe  (apprentissage à la collaboration, renforcement du sentiment de « force de frappe » du groupe… ). Il faut toutefois ne pas oublier les limites des dynamiques  (par exemple en termes d’ouverture au-delà de niches, de public moins averti etc.) qui pourtant pourraient être transformées en opportunités. Les dynamiques locales sont aussi génératrices de vivre ensemble, de solidarités, de pluralisme social ainsi que génératrices de savoirs faire et de compétences spécifiques contribuent à l’autonomisation des individus, rejoignant le fait de retrouver prise sur un environnement (au sens d’espace spatial et social), ou un thème (comme l’alimentation).

Y a-t-il un lien entre collaboration dans les dynamiques locales et résilience de la ville ?

Si collectifs citoyens et administrations locales sont capables d’entretenir une collaboration stable, transformable et adaptable, alors ils seront en mesure de mieux contribuer à la résilience de la ville. Dans le cas contraire, les dynamiques locales ne seront pas en mesure de contribuer à la résilience de la ville. En d’autres termes, la résilience de la collaboration entre administrations locales et collectifs citoyens est considérée comme une condition sine qua non à la résilience des dynamiques locales.

Ce postulat s’appuie sur deux arguments. Premièrement, en matière de résilience, les moyens sont tout aussi importants que les fins. Le terme de résilience peut être défini autant comme un moyen qu’une fin, soit comme « […] un processus qui permet de réduire la vulnérabilité d’un système, soit comme une propriété intrinsèque du système qu’on voudrait pouvoir mesurer et sur laquelle on voudrait pouvoir agir. La définition de la résilience est donc tour à tour, et indistinctement, normative ou instrumentale » (Carton, Thevard & Sinaï 2013, p. 7). En d’autres termes, un objectif résilient (par ex. préparer la ville à absorber et limiter le réchauffement climatique) doit à la fois être lui-même en constante évolution (par ex. se donner des objectifs de plus en plus en plus stricts), mais aussi s’appuyer sur des moyens de plus en plus résilients (par ex. s’appuyer sur la collaboration de plus en plus inclusive et passant par des moyens de plus en plus respectueux de l’environnement).

Le deuxième argument consiste à observer que la plupart des projets dans lesquels sont impliqués des collectifs citoyens sont, en pratique, tournés vers la résilience. Il peut s’agir de projets visant à favoriser la participation du plus grand nombre aux affaires de la ville, améliorer le bien-être des habitants ou, de projets tournés vers la protection de l’environnement. En d’autres termes, en étudiant les conditions d’une collaboration résiliente entre collectifs citoyens et administration locales, on peut contribuer à une meilleure compréhension des conditions de la résilience de la ville.

Les dynamiques locales, en agissant directement sur le quartier réduisent les distances entre les interactions physiques et sociales et focalisent leur champ d’activité. De plus, en menant des projets et activités concrètes citoyennes concrètes et des expérimentations sociales, ils permettent de s’éloigner des discours et stratégies et de mettre en œuvre des projets tangibles. En tant qu’innovations sociales, les dynamiques locales, peuvent contrer la « dispersion  des  compétences dans  divers  domaines  de politique de développement urbain et local, manque d’intégration d’échelles spatiales et, en premier lieu, aliénation des besoins des groupes fragilisés dans la société urbaine » (Hillier, Moulaert, et Nussbaumer 2004, 7). Elles ont de larges effets diffus en responsabilisant les citoyens, les rendant acteurs et contributeurs de la ville et par la même renforçant les ressources disponibles pour la résilience de la ville. Elles satisfont les besoins humains dans les rapports sociaux de gouvernance, en stimulant la capacité sociopolitique et l’accès aux ressources pour cette même satisfaction de besoin, ce qui comprend aussi la « participation aux prises de décision politiques au sein de structures souvent aliénantes sinon opprimantes » (Hillier, Moulaert, et Nussbaumer 2004).

Une telle transformation sociale par les innovations sociales nécessite le partage des connaissances entre les acteurs concernés, une forte implication de l’acteur public, une vision globale et intégratrice du développement de la ville. Par là-même, elles permettent une expérimentation au niveau de la démocratie locale. L’espace urbain peut être propice au développement de lieu abritant des expériences et expérimentations sociales démocratiques avec une mobilisation pour exiger la reconnaissance (Klein et al. 2016)(par exemple à travers les « interstices urbains »).

REFERENCES

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